L'écriture dans l'Art : Ekphrasis

11/11/2019

SisterArt expo@Fondation Boghossian - Villa Empain - Bruxelles. La célèbre villa Art Déco sert d'écrin à 42 artistes dont les œuvres sont réunies sous le titre grec Ekphrasis. Le fil rouge étant l'écriture sous toutes ses formes : manuscrites, typographiées, calligraphiées, mots sculptés, mots dessinés... Une exposition d'une grande richesse qui est à vivre comme une expérience. De découvertes en re-découvertes des courants artistiques majeurs, on passe du surréalisme à l' Arte povera, de l'art conceptuel au minimalisme.  Dans cette exposition épurée, les œuvres prennent ampleur et leur sens devient limpide.

Ekphrasis veut dire : description précise et vivace

Le titre de l'exposition demande qu'on s'y attarde pour comprendre les choix du commissaire Bruno Corà. 

Ekphrasis peut se traduire par le fait de décrire un objet avec précision et de manière vivace. Pour vous donner un exemple, la première ekphrasis célèbre est celle d' Homère dans l'Iliade, quand il décrit le bouclier d' Achille. 

Cette pratique littéraire qui traverse les temps depuis l'antiquité est devenue une source d'inspiration artistique. Aussi, Bruno Corà insiste sur la sélection des artistes qui "travaillent les mots avec assiduité". Il a voulu exposer des œuvres nourries de poésie, de littérature et de politique, des artistes pour qui la démarche est celle de transmettre un message ou de dénoncer ; de faire jaillir des paradoxes comme pour Fred Eerdekens "I hate words" ; de jouer avec les tracés ; de faire du tracé des signes, des éléments topographiques - comme Peter Downsbrough... 

À partir d'une écriture, tout est possible. En voici quelques exemples éloquents.

Mon choix s'est porté sur des artistes qui travaillent les mots avec assiduité.

Bruno Corà, commissaire de l'exposition

©J.Vercruysse
©J.Vercruysse

Les proverbes socio-politiques d'Annette Messager

Ma collection de proverbes est une œuvre composée de petits mouchoirs blancs sur lesquels sont brodés des proverbes multicolores. Le travail artisanal s'inscrit dans le quotidien et l'intime. L'artiste nous fait passer un message fort autour de l'oppression faite aux femmes. En toute simplicité, elle joue sur différents plans en aller-retour : du ressentiment à l'injonction. Le mouchoir comme symbole de tristesse, de peur, de honte, de voile… est un exutoire. On peut se moucher du proverbe ou dans le proverbe. Et l'écriture naïve en accentue l'ironie et pousse jusqu'au cynisme : ces proverbes sont méchants, faux et calomnieux envers les femmes mais aussi envers la féminité de l'humanité toute entière. 

Un message pointu comme une flèche dans un objet quotidien apparemment anodin…

Mounir Fatmi, pluridisciplinaire humaniste engagé

L'union impossible est une machine à écrire qui ne passe pas inaperçue. D'une lisibilité immédiate, ce travail renvoie aux conflits sociaux, aux difficultés de communication, à l'incompréhension... Son message est double, l'artiste réussit un tour de force : l'union semble impossible dans les événements, mais possible en tant qu'objet. Profondément humaniste, il propose de réécrire l'histoire autrement et collectivement. Une grande énergie émane de cette œuvre qui se veut accessible.

Alighiero Boetti : le nom de l'artiste en question

Boetti (1940-1994) était un représentant incontournable de l'Arte Povera. Dans l'ensemble de son œuvre, il est question de traiter à la fois du processus créatif lui-même (expérimentation, liberté, nouveau langage plastique…) et du statut de l'artiste. Dans le travail présenté ici, Boetti démontre combien l'artiste peut être protéiforme et à quel point il sait se distancier de soi par le fait de jouer de son identité, de sa signature cryptée par des doubles lettres. Un bégaiement plastique ! Le titre se confond avec la signature, l'œuvre avec l'artiste. 

Redécouvrez l' Arte Povera  à travers Giulio Paolini, Mario Merz, Renato Ranaldi, Pier Paolo Calzolari...

Les écritures de feu de Jean Boghossian

Dans la même veine que Boetti, Jean Boghossian interroge les processus de création. Par une technique qui lui est propre, ses travaux créés par le feu ( voir Boghossian par le feu) opèrent une transformation que l'on pourrait considérer magique, la flamme se fait plume et laisse apparaître une écriture mystérieuse.

Voir aussi Cy Twombly, sur le questionnement du processus créatif.

Marcel Broodthaers sous la pluie

La pluie ou projet pour un texte est une vidéo poétique à voir ou à revoir ! L'artiste belge joue sur l'humour et une certaine belgitude. Il crée le lien entre littérature et art plastique, entre art plastique et court-métrage, mais aussi entre poésie et philosophie. 

Le temps (la durée mais aussi la météo, la pluie) et la dilution de ses mots sur la page trempée font que l'œuvre existe sans exister, le texte ne peut s'écrire mais il existe quand même… et nous baignons en plein surréalisme.

Fred Eerdekens, le sculpteur de lumières

Les deux œuvres présentées ici sont MUSE et I HATE WORDS. À la fois magique et mystérieux, tel un sculpteur de lumières, l'artiste fait apparaître des mots par le truchement des ombres portées. Poétique et espiègle à la fois.

Une nouvelle lecture de l'Art conceptuel

Bruno Corà présente des artistes de renommée internationale et de différentes générations qui s'inscrivent dans les courants d'Art conceptuel et du minimalisme comme Tracey Emin, Joseph Kosuth, Jenny Holzer, Barbara Kruger

À propos de lecture, celle du livret de l'exposition est incontournable. L'ouvrage est un exemple d'écriture claire, concise et pertinente, véritable mine d'informations sur les artistes exposés.

Scripta manent...

Tableaux, dessins, sculptures, techniques mixtes ont pour ligne de conduite les mots, la phrase, le verbe : EKPRHASIS: L'écriture dans l'art à la Villa Empain jusqu'au 9 février 2020

Why©Fowler
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